Dieu est contre la guerre et aucun système politique ne peut vivre sans le peuple
Oui ou non pour le changement de la Constitution ? Le débat passionne les Eglises africaines, de Kinshasa à Ouagadougou. L’Eglise est prophétique: tout en respectant la loi sur la séparation des pouvoirs entre l’Eglise et l’Etat, c’est une question de principe que d’annoncer le danger qui pointe à l’horizon. Mais, revenons à l’essentiel: quel est le sens profond de Dieu et pourquoi faudrait-il, de nos jours encore, s’y intéresser ? On mesure, en effet, la dimension de Dieu comme étant l’Être suprême, créateur et conservateur de l’univers, adoré dans les diverses religions monothéistes.
Pour moi, je me reconnais dans ces mots de Saint-Exupéry: «Je ne suis d’aucune religion, mais la culture chrétienne dans notre tradition occidentale ne peut être occultée». Après avoir affirmé que l’être n’est pas «tout-à-fait»: il n’est ni Dieu ni vérité établie, mais devenir, et donc création toujours renouvelée.
Nietzche proclame que Dieu est mort. Dans ma tradition bantoue, l’option morale des parents, à partir des questions religieuses fondées sur l’invisible, le Tout-Puissant, ressemblait à une doctrine du devoir. La notion de Dieu se transmettait par l’autorité de la coutume. L’aumônier du village concluait que Dieu, par son infinie bonté, sa grande générosité, est la puissance par laquelle le cosmos, dans toute son harmonie, existe avec toutes les forces qui agissent. La thèse, qui passe pour une vérité évidente, est que pour exister, il faut croire en Dieu.
A propos, on peut dire que dans nos villes, dans nos campagnes, il faut être aveugle pour croire que Dieu est mort: les églises traditionnelles y sont présentes. Les églises de réveil ou sectes s’imposent à l’orée de ce 21ème siècle, avec leurs batteries de tam-tams pour chanter haut et fort les louanges du Seigneur, sans pour autant se conformer aux règles de la religion, car la pensée religieuse qu’elles distillent vient brouiller la célèbre pensée du saint philosophe et théologien Augustin: «Ne va pas au dehors, rentre en toi-même. C’est dans l’homme intérieur qu’habite la vérité». Subitement les églises sont en train de devenir à la fois le centre de la cité et la réponse à une crise de l’ordre traditionnel. On revient à la question récurrente: Peut-on se passer de N’Zambi-a-Mpungu, l’omniscient, le «Tout-autre»?
Le comportement des missionnaires religieux triomphants au 18ème siècle vis-à-vis des peuples autochtones a posé un problème singulier, du fait de l’imbrication entre évangélisation et animisme. Mais, une fois que l’évangélisation est en bonne posture, affirmée, l’animisme a déposé ses armes et semble convenir d’une cohabitation comprise et apaisée. Car, l’élévation est une exigence. Et sans doute, aujourd’hui, ne sommes-nous pas suffisamment exigeants vis-à-vis de nous-mêmes, exigeants vis-à-vis de nos concitoyens qui ont en charge de nous représenter dans les organisations religieuses, dans les institutions philosophiques et politiques?
Aujourd’hui, notre société fait l’apologie de l’hyper individualisme. Elle est aussi, hélas, soumise à la tyrannie du paraître. Le pays dans lequel nous devons vivre ensemble nous impose un modèle de médiocrité inacceptable. Pour vivre heureux, il faut s’aliéner de sa liberté, cesser de s’appartenir, devenir esclave des choses. Or, tout le processus d’évangélisation du peuple congolais sous-entendait, naturellement, le salut mondain: tous ceux qui ont été élevés sous les influences de la tradition et de l’évangélisation, se doivent de développer une image positive d’eux-mêmes et d’être fidèles à ce qu’ils croient. Je pense que la croyance en Dieu suscite le changement du chrétien. Pour ce faire, il nous faut donc une autre stratégie qui montre comment nous pouvons occuper une place essentielle dans la culture du progrès: celle qui va permettre d’acquérir des aptitudes nouvelles dans le sens d’une amélioration.
Notre monde d’aujourd’hui est celui de Galilée et de Darwin.
Il est indispensable de rappeler que l’oubli et le mépris sont les causes des malheurs du monde. Si Dieu avait laissé les croisades et les guerres de religions éclater, c’est, paraît-il, pour transmettre le message du nouveau testament avec pour mythe fondateur, le Christ. Ce sont-là des moments qui perturbent autant qu’ils fascinent. D’abord, même lorsqu’elle est justifiée, la guerre fait connaître des infamies. Il y a, là, quelque chose qui paraît contraire aux théologiens: le Dieu de Jésus, c’est le messager de la concorde, de l’absence de conflit entre les hommes et de la paix.
Enfin et surtout, l’Europe actuelle fascine: en effet, elle devient une spécificité. Ce qui procure la paix réelle entre la France et l’Allemagne. Ici, les croisades et les guerres de religions ont laissé la place à la tolérance et à la liberté absolue de conscience. C’est ainsi que les dictatures ont fait la place aux démocraties. «Ainsi me suis-je, par la grâce de Dieu, conservé pur entier, sans agitation et trouble de conscience...». Je dis que tout se résume dans ces paroles de Montaigne, le même qui aimait à dire: «Mon métier et mon art, c’est vivre».
Les ouvrages qui lui sont consacrés racontent que ce philosophe lucide, loin des dogmes de son époque, a cherché une réponse à l’horreur des guerres de religions. Il a considéré qu’en commettant d’abominables massacres, les chrétiens se révèlent pires que les cannibales du Brésil et qu’il présente comme plus humains que ses contemporains européens.
Lévi-Strauss, l’autre ethnologue qui a cherché à mettre en évidence la structure des sociétés, n’en pense pas moins. Morale de tout ça: il faut profiter de la vie, en la rendant bonne. Ne jamais se la gâcher par des tourments inutiles.
Je passe maintenant à la Seconde guerre mondiale. 1940 voit s’affronter deux courants dans l’opinion, chez les chrétiens: d’un côté le courant qui considère que la guerre est une idée qui doit s’éloigner de la sphère religieuse. L’autre courant considère que la guerre, c’est comme un mal nécessaire. On peut s’attendre à ce que l’homme soit appelé à sauver le monde pour se sauver lui-même. Cette méthode radicalise les positions défendues par les Nations unies, selon lesquelles les ennemis d’hier peuvent, dans certains cas, être les alliés d’aujourd’hui, tout en veillant à cultiver et à affirmer leur voie spirituelle propre fondée sur le libre examen et la tolérance.
Aussi, la guerre voit-elle les serviteurs de Dieu bien divisés. Mais, la culture judéo-chrétienne apporte en général un témoignage éloquent en faveur de l’authenticité de la bible sur la vie du Christ. Le christianisme peut se résumer ainsi: croire en Dieu, aimer Dieu de tout son cœur, de toute son âme et son prochain comme soi-même par amour de Dieu. Puisque le monde ancien avait failli, il fallait inventer un nouvel homme, un individu neuf, tolérant, dépouillé des carcans idéologiques de son époque.
Jésus-Christ prêche une nouvelle morale. Il le fait dans un esprit d’ouverture qui prétend qu’aucun homme n’est supérieur à un autre, qu’aucune civilisation n’est supérieure à l’autre. C’est pour cette raison que le Christ a passionné les pères fondateurs de l’Eglise, soit l’ensemble de fidèles chrétiens unis dans cette communauté particulière.
La doctrine sociale de l’Eglise incite le triomphe des chrétiens sur les imperfections de leur nature spirituelle, pour progresser vers la justice. Depuis le 4ème siècle, le monde a été profondément marqué par la culture judéo-chrétienne autour de la vie du Christ. Le Christ a cherché à se nourrir de son époque, en brandissant le glaive, symbole du combat: il existe quelque chose comme la vengeance de rendre la Justice. Mais, qu’est-ce-que la justice? Sans donner de la justice une définition qui serait moins claire, je puis la caractériser par son trait le plus apparent: justice signifie d’abord vertu morale. Elle réside dans la reconnaissance et le respect du droit naturel. Le port du glaive par le Christ constitue l’ouverture d’un grand chantier de travail pour la construction, la déconstruction et la reconstruction. Il est donc au pouvoir des hommes de s’abstenir de l’absurdité. En cela, la liturgie constitue un levier au moyen duquel le chrétien peut être amené, par sa puissance intellectuelle, à renverser les entraves de la matière.
Pour tout ce qui précède, je ne crains pas d’affirmer que Dieu est contre la guerre.
La triste histoire du Congo est révélatrice de ce que la guerre est toujours injuste, absurde et abjecte. Je ne suis pas un rêveur. Je sais que les malentendus existeront. Mais comment résoudre nos malentendus sans faire la guerre? Pour que l’idée de guerre s’arrête à jamais, n’est-il pas l’heure de revenir à l’ordre spirituel qui nous donne une nouvelle conception de Dieu et la guerre?
Dans la culture occidentale moderne, le problème philosophique entre la religion et la guerre a été abondamment traité par Karl Barth, théologien protestant suisse. Sa conclusion est on ne peut plus cinglante: Dieu n’a rien à voir avec la guerre; Dieu n’est pas dans la guerre. Il ne reproche pas aux théologiens libéraux d’avoir pactisé avec la démocratie, mais de rechercher Dieu là où ils n’ont aucune chance de le trouver. Cela explique sans doute pourquoi le même Barth a critiqué aussi sévèrement les protestants allemands tentés par l’inhumanité d’Adolph Hitler: «Ceux qui suivent Hitler dans sa volonté de destruction profanent le message biblique».
Pour conclure, je n’ai voulu qu’effleurer un sujet d’actualité qui nécessite, à lui seul, une série de conférences. Mon intention est de relever le fossé qui se creuse entre la vérité divine et le reniement de la justice des hommes au profit de l’absurdité. Pourquoi? Parce que le Congo est dans l’incapacité de faire corps derrière les idées nobles qui encouragent la dignité de la vie et non moins antidote à la violence.
Rarement les solutions sont politiques, loin des intérêts du peuple congolais. Dieu ne peut pas justifier une telle terreur. La paix n’est pas seulement l’absence d’une guerre, mais la possibilité de faire coexister les contraires dans un contexte apaisé. Cependant, chacune de ces constitutions a été rédigée, sinon pour l’éternité, du moins pour une période qu’on espérait très longue. Mais hélas, les pouvoirs ne se sont pas appliqués à en soigner la forme autant que le fond. Mais l’expérience permettra de déclarer si le Congo, enfin, trouvera, comme les nations civilisées, après la Constitution de 2002, une Constitution adaptée à son tempérament, à ses mœurs politiques et capable d’évoluer avec le monde moderne.
Le président de la République, lui qui a remis le pays entre les mains de Dieu au sortir de la guerre de 1997, doit-il laisser à nouveau le pays s’enfoncer dans l’ensauvagement? Il doit prévenir la combinaison des malentendus qui cultivent des penchants nihilistes issus de l’intolérance politique. La crise intellectuelle et spirituelle fait entrer le Congo dans une période de puérilité, symbole d’irresponsabilité dont nous ignorons toujours les conséquences ultimes. Ni le vide intellectuel et spirituel, ni l’intolérance politique partout viscérale ne portent à l’optimisme, en 2016. Nous sommes comme prisonniers du politiquement incorrect. Le mépris de la vie humaine est de la provocation directe aux valeurs que notre société à majorité chrétienne est censée défendre. Il faut dire, après tout ça, qu’aucun système politique ne peut vivre sans le peuple. Il faut, donc, reconstituer le peuple. Ce qui serait la meilleure manière de faire la politique: c’est la démocratie qui triomphera.
Joseph BADILA