Mécontents de leurs salaires et de leurs conditions de travail, les employés congolais de patrons « chinois », « ouest-africains » ou « libanais » subissent en silence leur exploitation. Ils n’ont en général pas de contrat en bonne et due forme, ne connaissent pas leurs droits et craignent surtout d’être licenciés dans un pays où trouver un emploi relève du miracle. Par Annette Kouamba Matodo.


 


Image illustrative de l'esclavage et de la surexploitation 



Jusqu'à 80 heures de travail par semaine pour un salaire de misère... Tel est le traitement de nombreux jeunes Congolais employés de patrons « chinois », « ouest-africains (mauritaniens, sénégalais, maliens) », « libanais » ou « pakistanais ». Ces employeurs étrangers font des affaires au Congo depuis la fin de la guerre de 1997 dans les secteurs du commerce, du bâtiment ou de la restauration. Le plus souvent, leurs employés travaillent tous les jours, du matin au soir, sans pause à midi. Ils n’ont pas de prime de transport, pas de congés et sont pour certains rémunérés moitié moins que le « SMIG », soit 25 000 Fcfa (38 €) le mois au lieu de 50 000 Fcfa (environ 75 €).

« Je suis payé 1 000 Fcfa (1,5 €) la journée et je n’ai  pas de contrat de travail. Je ne suis donc pas à l’abri du renvoi », témoigne un employé d’un magasin « ouest-africain ». « Le volume de travail est trop élevé par rapport au salaire que je reçois. Mais, si je réclame mes droits, je risque de me retrouver à la rue », assure une mère célibataire, salariée d’un établissement libanais depuis une dizaine d’années. Elle, qui cumule plusieurs tâches dans cette entreprise, ajoute : « Si nos salaires sont minables, c’est à cause de l’Etat. Il n’embauche pas et ces commerçants en sont conscients. Officiellement, nous travaillons de 7 à 17 h, mais en réalité, nous finissons aux environs de 19 h. À Kinshasa, tous les commerces ferment à 15 h ! »


 

LE DOUBLE DE LA DURÉE LÉGALE

Au marché Poto-Poto de Brazzaville, dans un magasin chinois de commerce général, deux travailleurs assis dans un coin attendent la clientèle pendant que leurs patrons déjeunent. Eux n’ont ni pause, ni repas. Ils mangeront une fois à la maison. Pour l’heure, il leur faut vendre, ranger, nettoyer les articles et discuter avec les clients de 6 h 30 à 18 h, du lundi au samedi, et le dimanche de 6 h 30 à 15 h. Près de 80 heures de travail par semaine, soit le double de la durée légale (40 heures) fixée par le Code du travail congolais, et cela pour 45 000 Fcfa (70 €) par mois…

Dans un autre magasin chinois, un employé déplore également, barrière de la langue oblige, « le manque de communication » avec son employeur et le manque de reconnaissance de son travail : « Quand je suis arrivé, je gagnais 30 000 Fcfa (45 €). Deux ans plus tard, je suis à 52 000 Fcfa (près de 80 €). C’est encore très insuffisant pour vivre. » À côté de lui, un collègue en colère déclare : « Avec cette somme, tu ne peux pas louer une maison, encore moins avoir une femme. »

Le responsable d’un magasin « chinois » justifie la faible rémunération (1 000 à 2 000 Fcfa soit 1,5 à 3 € par jour au démarrage) de ses vendeurs en accusant les Congolais de voler la marchandise. Il ne cherche pas et n’a sans doute pas besoin de fidéliser ces employés qui, pour certains, démissionnent au bout d’une semaine, espérant trouver mieux ailleurs, comme le fait remarquer un des vendeurs congolais de la boutique. Même dans cet autre commerce chinois reconnu par les autorités congolaises et où le salaire minimum est fixé à 65 000 Fcfa (100 €) selon la chargée de l’administration, certains employés sont décidés à partir s’ils trouvent mieux. Pas évident, car la fonction publique recrute peu et les commerçants congolais embauchent en priorité des membres de leurs familles avec des salaires négociés à l’amiable…


INFORMER EMPLOYEURS ET EMPLOYÉS

Les patrons étrangers sont donc très sollicités par les demandeurs d’emploi et feraient jouer à fond la concurrence entre salariés. Selon l’« Observatoire congolais des droits de l’Homme (OCDH) », « les autorités ont une grande responsabilité, car elles privilégient leurs relations avec les commerçants étrangers au lieu de sanctionner ceux qui ne respectent pas les normes du travail au Congo. »

Du côté de l’« Office national de l’emploi et de la main-d'œuvre (ONEMO) », les règles du jeu sont en tout cas claires : « Aucune entreprise ne peut engager du personnel sans nous en avoir informés. Sinon, les relations qui la lient à son employé ne sont fondées sur aucune base légale. Toute entreprise qui va à l’encontre de cette loi encourt des pénalités allant de 30 000 à 95 000 Fcfa (45 à 145 €) par salarié non déclaré », souligne Jean-Ernest Mahoungou, secrétaire à la direction générale de l’« ONEMO ». Sur le terrain, la loi est cependant peu respectée… « Des boutiques ouvrent sans avoir d’information sur la loi régissant l’emploi au Congo. Nous expliquons à l’employeur qu’il doit faire signer un contrat à son employé et le soumettre à notre appréciation », assure M. Mahoungou.

Les employés qui s'estiment exploités peuvent s'adresser aux inspecteurs et contrôleurs du travail et aux syndicats. Mais peu d’entre eux connaissent leurs droits.