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Affaire Tintin au Congo.

par Abbé daleb mpassy

publié dans culture

Plus de 45 ans après sa parution, Tintin au Congo crée encore la polémique. Plusieurs actions ont été lancées pour faire interdire la bande dessinée, jugée « colonialiste » et « raciste ». L’une d’elles a été initiée par un étudiant congolais vivant en Belgique, le pays natal de Hergé.
 
Tintin n’est décidément pas le bienvenu au Congo. La polémique sur les aventures du célèbre reporter en culotte courte a ressurgi cet été. En cause, les textes et dessins de Tintin au Congo - réalisés au début des années 30, en pleine colonisation de l’actuelle République Démocratique du Congo. Le père de Tintin avait déjà fait l’objet de plusieurs attaques, dans les années 60, qui dénonçaient le caractère « raciste » et « colonialiste » de sa bande dessinée. Pour sa défense, Hergé, Rémi Georges de son vrai nom, avait justifié que son œuvre s’inspirait de l’air du temps.
 
« Pour le Congo, tout comme pour Tintin au pays des Soviets, il se fait que j’étais nourri des préjugés du milieu bourgeois dans lequel je vivais, a expliqué le dessinateur belge, décédé en 1983. C’était en 1930. Je ne connaissais de ce pays que ce que les gens en racontaient à l’époque : "Les nègres sont de grands enfants, heureusement que nous sommes là !", etc. Et je les ai dessinés, ces Africains, d’après ces critères-là, dans le pur esprit paternaliste qui était celui de l’époque en Belgique. »
 
Hergé avait fait une sorte de mea culpa lorsqu’il avait repris Tintin au Congo en 1946 en édulcorant l’idéologie colonialiste. Reste que, peu après les célébrations du centenaire de sa naissance, il passe en appel pour les mêmes accusations qu’il y a une quarantaine d’années. Le vent de la contestation s’est d’abord levé en Grande-Bretagne, où un plaignant a saisi en juillet la Commission pour l’égalité raciale (CRE).
 
Verdict : « Ce livre contient des images et des dialogues porteurs de préjugés racistes abominables, où "les indigènes sauvages" ressemblent à des singes et parlent comme des imbéciles », avait indiqué un porte-parole de l’instance gouvernementale, aujourd’hui dissoute. Dans un communiqué, le CRE avait même précisé que « sous n’importe quel angle, cet ouvrage est délibérément raciste ».
 
Levée de boucliers
 
En conséquence, les chaînes américaine Borders et britannique Waterstone’s ont exigé de leurs librairies qu’elles placent l’album incriminé au rayon adulte. D’autres distributeurs de Grande-Bretagne avaient déjà orné sa couverture, lors de son édition outre-Manche en 2005, d’un bandeau rouge précisant que l’œuvre est réservée aux « collectionneurs » et qu’elle comprend des stéréotypes susceptibles de choquer. L’éditeur américain Little, Brown Books for Young Readers avait bien pensé à un tel avertissement, mais il a finalement renoncé à sortir la BD.
 
Pas suffisant pour calmer tous les esprits. La décision de la CRE a réveillé les passions. C’est ainsi que le Conseil représentatif des associations noires de France (CRAN) a demandé à Casterman de ne plus publier l’ouvrage. En Belgique, un Congolais a porté plainte le 23 juillet contre Moulinsart, la société gérant les droits d’exploitation et de commercialisation des œuvres de Hergé. Bienvenu Mbutu Mondondo, dont l’action constituait une première en Europe, doit avoir une audition le 6 novembre avec le juge Claise, qui pourrait bien décider d’instruire l’affaire.
 

récépissé de la plainte déposée
contre Moulinsart

Le plaignant demande un euro de dommages et intérêts et souhaite que la BD, vendue à des dizaines de milliers d’exemplaires chaque année, « soit purement et simplement retirée de la commercialisation ». L’étudiant en sciences politiques compte pour cela sur une loi de 1981. « Elle indique que tout document écrit mis à la disposition du public qui porte atteinte à l’image ou à l’honneur d’une personne doit être considéré comme raciste », résume le diplômé en droit, âgé de 38 ans.

 

 
 
Déterminé, il se déclare prêt à aller jusqu’à la cour de Strasbourg si la justice belge ne lui donne pas gain de cause. Ce n’est pas le cas de Jean-Dadou Monya, un Suédois d’origine congolaise qui avait saisi la justice courant août. Reconnaissant s’être inspiré de Bienvenu Mbutu Mondondo, il a déclaré qu’il se doutait que sa démarche n’allait pas aboutir, mais qu’il voulait juste « attirer l’attention sur le caractère raciste de cet album qui n’a plus sa place dans la société du 21e siècle ».
 
Combien d’œuvres sur la sellette ?
 
Moulinsart ne s’explique pas cette polémique, dans laquelle le Centre belge pour l’égalité des chances a refusé d’entrer. Cet organe a d’ailleurs décliné de se joindre à la plainte de l’étudiant congolais, estimant que la priorité était de combattre la discrimination à l’embauche et au logement. Justement, pour beaucoup, et notamment pour plusieurs associations congolaises du royaume belge, Tintin au Congo n’est pas un combat prioritaire.
 
« Nous avons loué l’action de cet étudiant, mais pour nous cela reste un problème mineur par rapport à la guerre et à l’exploitation des ressources de la République Démocratique du Congo », commente Fabien Mbambi, un militant de Debout pour le Congo. Damien Twambilangana, président de l’association, souligne toutefois la justesse des revendications par le fait que « les aspects racistes de cette BD risquent d’avoir une incidence sur les enfants et les adultes qui ne vont pas remettre les choses dans leur contexte ».
 
Sur le plan culturel, des détracteurs de Bienvenu Mbutu Mondondo craignent que si l’on interdit Tintin au Congo, d’autres œuvres risquent de connaître le même sort. A l’image de la collection Astérix, où apparaît un pirate noir aux lèvres démesurées et au français bégayeur. D’autres s’interrogent sur le fait que l’étudiant congolais se manifeste au moment où les réalisateurs américains Steven Spielberg et Peter Jackson envisagent chacun une adaptation de Tintin sur le grand écran…
 
Pendant ces joutes verbales, des artistes congolais surfent sur la popularité du journaliste-globe-trotter pour fabriquer et vendre illégalement des produits dérivés. Quant aux enfants du pays, certains dévorent les aventures de Tintin au Congo sans se douter des soupçons de racisme et de colonialisme qui pèsent sur le maître de Milou. Tout comme Bienvenu Mbutu Mondondo lorsqu’il a lu cette BD à leur âge, au Congo-Kinshasa.
 
Habibou Bangré - 31/10/2007
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