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Emile BIAYENDA, un saint homme: le prêtre et le pasteur

par Abbé Wenceslas daleb mpassy

publié dans Théologie

 

Cardinal-biayenda.jpgDix-neuf de vie au service de l’Eglise comme prêtre, dont neuf comme évêque, ce n’est pas beaucoup apparemment ; mais celui dont je vais présenter ici les traits forts de la vie sacerdotale est un homme exceptionnel qui n’a pas eu besoin de nombreuses années pour donner à l’Eglise qui est au Congo et à  toute la nation congolaise,  la pleine mesure des dons que Dieu lui avait faits. De 1958, année de son ordination presbytérale à 1977, année de sa mort, Emile BIAYENDA se révèle  comme un ami du Christ et un ami des hommes qui sait

compter sur la force de Dieu.

 

1-Le prêtre, l’ami de Jésus-Christ

 

 « Demeurez dans mon amour » (Jn 15, 9).Cette parole de Jésus dans l’évangile de Jean que l’abbé Emile BIAYENDA avait choisie pour son ordination presbytérale est le condensé de sa conception du sacerdoce ordonné ; et comme chez lui, le penser et le vivre doivent aller de pair, il s’est efforcé de faire cette parole un guide pour sa  vie, à la manière du psalmiste : « ta parole est une lampe sur mes pas ».  Le prêtre n’est pas d’abord un homme chargé de poser des actes cultuels ou religieux, ni de donner les sacrements, ni même d’enseigner l’évangile pour faire des adeptes. Etre prêtre c’est, avant toutes choses, s’attacher à la personne de Jésus Christ comme les sarments sont reliés au tronc de vigne qui leur donne la sève vivifiante. Connaître Jésus, c’est tout pour lui ; et le connaître c’est vivre dans son intimité grâce à la prière, à lecture des Saintes Ecritures, à la célébration de l’Eucharistie et au sacrement du pardon. C’est à ces sources que celui qui est appelé à être serviteur de ses frères dans l’Eglise doit puiser et boire s’il veut être au milieu d’eux l’image du Christ, car le prêtre est «  alter Christus ». Voici ce qu’en dit Emile BIAYENDA : « Le prêtre, lui, que fait-il ? Pour moi, je ne sais pas exactement ce que dit la théologie soi- disant d’après concile… Je m’en tiens à ce que disait la théologie d’hier, dite dépassée. Elle disait en effet : “ Sacerdos alter Christus” (le prêtre est un autre Christ). C’est une expression très dense de sens et de signification ».

 

En effet, il apparaît clairement dans les écrits et la vie de l’abbé BIAYENDA que l’identité du prêtre est conférée par Jésus lui-même qui l’appelle à être son ami pour qu’il puisse agir en lieu et place de celui qui est venu donner la vie en abondance : « Je ne vous appelle plus serviteurs, je vous appelle mes amis, parce que je vous ai fait connaître tout ce que j’ai appris de mon Père ». Cette théologie de l’identification au Christ ne saurait être dépassée ; Emile BIAYENDA, avec fermeté, appelle à ne pas la rejeter comme un modèle d’avant le concile Vatican II : l’attachement à Jésus et la fidélité à ses commandements sont le socle de la vie presbytérale. Il y a là non seulement une théologie du sacerdoce mais aussi et surtout une spiritualité du prêtre qu’il soit religieux ou diocésain. De ce point de vue, le prêtre diocésain n’a pas à être complexé devant le prêtre religieux sous le faux prétexte que ce dernier a une spiritualité qu’il tient de son ordre ou congrégation, tandis que lui en serait dépourvu.

 

La préparation au sacerdoce, durant les années de séminaire est vécue par Emile BIAYENDA comme une avancée et un approfondissement dans cette connaissance de Jésus qui est union au Sauveur. Ses formateurs et condisciples depuis le petit jusqu’au grand séminaire ont toujours été frappés par l’attrait à la prière d’Emile ; c’est un garçon qui a une piété profonde et sans ostentation. Il a une dévotion mariale très forte ; devenu prêtre, il sera aumônier national de la Légion de Marie. Relevons quelques réflexions de l’abbé BIAYENDA lors de sa retraite d’ordination diaconale, du 19 au 23mars 1958 : « Notre ministère n’est pas fondé sur nos propres capacités, mais sur le Christ. C’est son programme à lui que nous devons suivre. Etude, vie intérieure, vie d’évangile sont les moyens que Dieu attend de nous pour continuer sa mission ». Au cours de cette même retraite, il écrit ceci qui illustre bien la place essentielle de son attachement à Jésus par la prière : « Seigneur Jésus, donnez-moi de vous chercher toujours toute ma vie. Pour que nous soyons forts et gardions en nos âmes la vraie joie, donnez à tous les hommes le goût de prier » (A.T. p.64). Voici encore d’autres réflexions d’Emile qui vont dans le même sens : « Seigneur Jésus, Vous qui m’avez guidé à Vous, Vous qui avez guidé mes pas pendant cette longue et grande montée, ce soir, plus que jamais, je viens implorer votre sainte assistance pour que fidèle à Vous, je le reste à jamais dans ces saints engagements et solennelles prestations d’amour que je vais faire à la fin de cette retraite. 

                                                                                                                                                            « Que je Vous cherche, que je Vous connaisse, vous aime et m’attache à Vous indéfectiblement jusqu’à ma mort. Mes misères, mes incapacités pourront servir, Seigneur, si je sais tout attendre de Vous…

 

« Le prêtre doit être un adorateur. Il doit savoir cesser ses activités pour aller dans le désert causer avec le bon Dieu. Adorer le Christ dans le silence. Lui demander le sens de longs moments vécus à ses pieds. Prier pour les âmes, prier à leur place…

 

« Jésus, vous êtes mon ami. Je vous appartiens avec tout ce que je suis et possède. Jésus, je voudrais être avec vous la main dans la main, comme deux amis » (Retraite de préparation à l’ordination sacerdotale, du 19 au 25 octobre 1958, in A.T. pp.65-66).

 

L’abbé BIAYENDA est de la race des mystiques : il cherche sans cesse le Seigneur, il se prépare intérieurement sans désemparer  à la rencontre de l’Ami. Il est alors disposé à répondre à l’appel du Christ qui a l’initiative d’envoyer en mission : « Ce n’est pas vous qui m’avez choisi ; c’est moi qui vous ai choisis afin que vous partiez, que vous portiez du fruit, et que votre fruit demeure ». Le même Christ qui appelle veut que les disciples qu’il envoie l’aiment à fond, comme il veut s’en assurer pour Simon-Pierre  à qui, par trois fois, il demande : « Simon, fils de Jean, m’aimes-tu » ? Pour se voir confier la charge du troupeau, il faut que Pierre affirme son attachement à Jésus, attachement que celui-ci ne va pas contester malgré le triple reniement de Pierre.   

                                                      

Il n’ y a pas de doute, Emile a compris que le prêtre n’est pas un fonctionnaire du culte qui remplirait bien ses tâches pastorales ; s’il se comporte ainsi, il court le risque de s’épuiser dans un activisme incapable de révéler aux fidèles la personne même du Christ qui est le Sauveur des hommes. La fécondité du ministère pastoral ne découle pas d’abord des aptitudes humaines du prêtre, mais de sa disponibilité à se laisser habiter par le Christ, à être avec Lui « main dans la main, comme deux amis ». C’est la vie intérieure qui donne sens et richesse aux activités pastorales puisque dans la prière et la lecture des saintes écritures, le prêtre entend la voix du Seigneur qui lui commande ce qu’il doit faire et enseigner aux hommes dont il lui a confié la charge. Imiter Jésus lui-même qui est venu non pas pour faire sa volonté mais celle de son Père, telle doit être la disposition intérieure de celui qui est appelé au sacerdoce pour qu’il ne soit pas un mercenaire qui abandonnerait le troupeau en cas de danger.                                                          A la veille de son ordination sacerdotale le samedi 25 octobre 1958, Emile se confie à Jésus dans la prière en ces termes : « Ȏ Jésus, me voici à la veille de ce grand jour où du pauvre de moi, vous aller faire votre prêtre, votre instrument d’intercession entre vous-même et les hommes. Jésus, vos desseins ne sont pas ceux des humains. Vous écrivez seul droit sur des lignes brisées. Moi le néant, moi le pauvre, vous m’avez gardé sur ce chemin et demain me permettrez de franchir le seuil ! …

Le sacerdoce, ce n’est pas pour rire. Vous me confiez une mission, une mission d’amour auprès de mes frères. Vous savez, vous, Seigneur, comme cela est dur en nos jours présents, mais ce que je vous demande, c’est cette grâce de me sentir toujours pauvre et néant pour m’appuyer sur vous et ne jamais rien risquer sans vous.

 

A vous mon sacerdoce pour que vous en soyez glorifié et pour que des âmes nombreuses par lui soient sauvées. Tout ce qui m’attend, vous le savez et comme un mendiant, que j’aie toujours mes regards sur vous. Tout à vous, tout aux âmes pour vous aimer et aller vous  chanter un jour au ciel. Jésus, aidez-moi. Jésus, soutenez-moi et plutôt mourir Seigneur que devenir un infidèle et un indigne prêtre. Je me donne à vous, je me consacre à vous pour toujours jusqu’à ma mort. »                    

                                                                                                              

2- Fort avec Dieu

 

La prière de l’abbé BIAYENDA à la veille de son ordination est sans conteste le serment de fidélité, de confiance et d’amitié que le tout futur prêtre fait à Jésus qu’il reconnaît comme son ami et son maître. Il n’est pas encore prêtre, il le sera le lendemain par l’imposition des mains de son évêque, Mgr Michel BERNARD ; mais dans le cœur d’Emile, ce jour du dimanche 26 octobre 1958, fête du Christ-Roi, va être la consécration de cette amitié tissée avec Jésus depuis son baptême. Je me risque à dire qu’Emile, sans pour autant mépriser l’autorité de l’Eglise à qui le Christ a donné le pouvoir d’appeler au sacerdoce et de le conférer (qui l’a connu savait son immense respect pour l’autorité de l’Eglise), pense que l’ordination sacerdotale ne transforme pas fondamentalement un homme qui ne s’est pas préparé dans la fréquentation de Jésus à consacrer sa vie au service de ses frères. Emile mesure le poids et la difficulté de la charge, car pour lui, être prêtre est plus une charge, une responsabilité qu’une promotion, un honneur ; cette conviction n’aura pas pris chez lui une ride quinze ans plus tard, lorsqu’il est nommé cardinal par le pape Paul VI. Le sacerdoce ce n’est pas pour rire ni pour se gonfler d’orgueil car il est une mission de service et d’amour auprès des hommes et des femmes de ce temps, de tout temps, de ce pays, de tout pays. Une mission de service et d’amour ! Qu’il est difficile d’aimer. Il est déjà difficile d’aimer ceux qui sont du même sang que moi, ceux qui ont la même culture que moi… Comment aimer ceux qui me sont étrangers par le sang, les coutumes, la religion… ?

 

Le prêtre peut se sentir démuni devant cette mission à cause de ses préjugés, de son histoire personnelle, de ses limites humaines et se refuser d’aller au-delà de lui-même. Dans son ministère sacerdotal, Emile n’a pas été à l’abri de ces situations en face desquelles nos capacités humaines défaillent,  notre volonté et notre liberté sont bloquées ; sa lucidité spirituelle lui faisait comprendre qu’il était pauvre et néant ; c’est alors qu’il savait s’appuyer sur la force de Dieu, à l’image de l’apôtre Paul qui écrit : « C’est lorsque je me sens faible que je suis fort » (2Cor12, 10). Pauvre et néant, voilà comment se décrit lui-même Emile, cet ami du Christ aux vertus humaines et chrétiennes reconnues, au zèle apostolique  avéré. Voilà comment doit se décrire tout prêtre de Jésus-Christ dans la sainte Eglise catholique. Il sera encore plus près de Jésus dans la prière afin que sa grâce ne lui fasse jamais défaut ; il découvrira qu’il ne peut pas s’attribuer ce qu’il appelle ses réussites pastorales, mais qu’il les doit à l’Esprit de Jésus qui guide l’Eglise depuis le commencement.

 

Le sacerdoce est une responsabilité pour l’Eglise et l’humanité tellement vitale que celui à qui elle est confiée doit chaque jour être vigilant à entretenir et à faire fructifier le dépôt qu’il a reçu du Seigneur ; pour cela, il doit s’imposer une discipline personnelle basée sur l’intimité avec le Christ d’une part, et sur le zèle apostolique et le respect des fidèles d’autre part. Voici, à ce sujet, quelques points de la règle que se donne le tout jeune prêtre Emile BIAYENDA, elles sont empruntes de sagesse évangélique et humaine :

 

1. Dans l’administration : ce sera au nom du Christ et comme le veut et le demande son Eglise notre mère.

2. Horreur de tout ce qui sent la simonie.

3. Etre infatigable à prodiguer aux âmes les trésors de la grâce du Seigneur par les sacrements et sacramentaux dignement administrés.

4. Beaucoup estimer le ministère auprès des malheureux et des malades. Leur offrir mon amitié, mais au nom du Christ.

5. Estimer les visites des gens à domicile, mais avec toute la prudence voulue                                                     6-Ma sanctification et la conversion des pécheurs tiendront de mon Oraison et de ma Sainte Messe, de mon chapelet, de mes lectures spirituelles ; assiéger le Christ au Tabernacle et lui dire tout.

7. Combattre la médiocrité : étudier sans cesse, ne passer plus tard aucune sans avoir rien fait en ce domaine, avoir toujours un ouvrage en chantier.

8. Préparer mes sermons dans l’amour et l’inspiration par Marie. Eviter les improvisations.                               9. Me savoir partout, en tout et pour tout, prêtre du Seigneur qui a mission de le faire connaître et aimer des autres par son message appuyé  du témoignage de ma vie.                                                         10. Lutter contre tout complexe dans n’importe quel milieu. Croire à l’amour du Seigneur et rayonner sa joie.

11. Aimer les âmes, chercher leur bien réel, communier sincèrement à leurs souffrances.                                          12. Etre excessivement prudent avec elles, particulièrement avec les enfants et les filles.                                    13. Avoir en honneur mon célibat généreusement embrassé par amour pour Jésus, y voir une source d’immenses grâces que le Christ m’accordera pour la conversion des pécheurs.                                      14. Parler et prier pour les vocations.

15. Savoir obéir : me convaincre sans cesse que mes actions ne seront d’Eglise, utiles aux âmes et bénies de Dieu que dans la mesure où je serai uni à l’Eglise par mon évêque et mes supérieurs.                                                                                                                                                                 16. Dans l’apostolat, ne pas bouder les trouvailles des autres. Les adopter, les faire miennes » ( in A.T. pp 68-69).    

                           

Je ne voudrais pas ici examiner in extenso chacun de ces points de la règle que l’abbé BIAYENDA s’est donnée comme ligne de conduite. Tout prêtre peut les examiner et se rendre compte qu’ils sont des balises et des garde-fous précieux. Le plus important ici est de découvrir qu’Emile BIAYENDA prend au sérieux son sacerdoce et qu’il se donne les moyens d’être fidèle au don que Jésus lui a fait pour ses frères. Saint Paul  se stimule en écrivant ces mots plein  de zèle apostolique : « Malheur à moi si je n’annonce pas l’évangile » (1Cor 9,16) ; c’est dans le même esprit que l’abbé  BIAYENDA écrit, à la veille de son ordination sacerdotale ces mots qui sont en conclusion de la règle: « …plutôt mourir, Seigneur, que devenir un jour un infidèle et un indigne prêtre ». Prendre soin de sa propre âme c’est à coup sûr pour le prêtre l’un des meilleurs moyens de prendre soin du troupeau que le Seigneur lui  confie, car on n’est pas prêtre pour soi-même mais pour le peuple de Dieu. Ce n’est pas à un exercice volontariste qu’il se soumet ; c’est le regard tourné vers le Christ, le prêtre par excellence, qu’il avance et espère remporter la victoire.

 

Devenu évêque, il redira pour les prêtres l’exigence incontournable d’une vie évangélique authentiquement centrée sur le Christ comme voie d’une vie sacerdotale fructueuse et épanouissante : « exigence de fidélité à la parole donnée et à l’engagement contracté, exigence de générosité capable d’aller, à l’exemple du Christ, jusqu’au sacrifice , non seulement des biens matériels, mais aussi de sa propre vie, exigence de chasteté et de pauvreté pour une charité qui urge, exigence de discipline et de hiérarchie selon la volonté du Père et de l’Esprit Saint qui assigne à chacun et selon l’ordre, une fonction pour le bien de tous, comme il est dit dans l’épitre aux Corinthiens.

 

Quoi qu’on dise, la vraie liberté chrétienne ne peut s’obtenir que dans l’obéissance : comme il est écrit dans le livre des Prophètes : “ Je t’écarterai de mon sacerdoce, toi qui méprises la discipline”. Et toutes les exigences du sacerdoce que semblent rejeter les théories actuelles ne peuvent être abolies au profit de certaines théories ambiguës et mal à propos.

 

Pour empêcher que beaucoup de vocations n’aillent à la dérive, il faut sans crainte présenter une vie évangélique authentiquement centrée sur le Christ et témoigner du sérieux de la Parole de Dieu ». (in A.T. p.113).

 

Sachant qu’un engagement sans tergiversations est impossible à tout être humain même engagé sur le chemin de la sainteté, Emile, lorsqu’il est nommé évêque, choisit comme parole de vie : « Sur ta parole, Seigneur, je vais jeter les filets » (Lc 5,5). Il a longuement médité sur l’attitude de Simon-Pierre au bout d’une nuit de pêche infructueuse ; lassés, ses compagnons et lui rangent le matériel pour aller se reposer avec l’inquiétude que la nuit suivante ressemble à celle qui vient de s’achever. Mais voilà que Jésus de Nazareth, charpentier de métier, lui dit d’avancer au large et de jeter les filets…

 

C’est le matin ; Pierre sait d’expérience que sur le lac, ce n’est pas le moment propice pour prendre du poisson en quantité ; mais il donne du crédit à la parole de Jésus, il obéit, et le résultat ne se fait pas attendre. Mais pourquoi donc Pierre ne demande-t-il pas à Jésus de s’associer à eux pour créer une entreprise de pêche prospère ? Au lieu de cela, il abandonne son métier pour se mettre à l’école d’un Maître auprès duquel il n’aura jamais fini d’apprendre que l’amour et la confiance en Dieu sont le secret de la réussite du pêcheur d’hommes.

 

Ce ne sont pas sur ses qualités personnelles qu’Emile BIAYENDA compte ; il sait qu’il doit tout au Christ qui a le pouvoir de faire en sorte que même les misères et les incapacités du prêtre servent à manifester la grandeur de Dieu. Il faut que le prêtre soit saint, c’est-à-dire qu’il s’engage résolument à mettre en pratique les conseils évangéliques qui ne sont pas l’apanage des religieux ; il faut qu’il se dépouille de ce qui l’empêche d’être libre pour accueillir l’appel toujours renouvelé à avancer au large ; il doit commencer à se dépouiller de ses certitude et de sa propre volonté. Ce qui affleure ici encore c’est cette conception d’identification au Christ de l’être et de l’agir du prêtre : Jésus, en entrant dans le moment suprême du don de sa vie, prie Dieu : «  Père, non pas ma volonté, mais la tienne ». Commentant cette disposition de notre Seigneur, Emile BIAYENDA écrit : « Le Christ, c’est celui qui fait la volonté du Père. Et que veut le Père ? Le Père veut que ce monde soit dans l’ordre. Le Christ, c’est celui qui annonce la loi de l’ordre : “ Tu aimeras ton prochain comme toi-même. Ne fais pas à l’autre ce que tu ne veux pas que lui te fasse ”… Alors le prêtre, comme le Christ, sera celui qui fait et annonce la volonté du Père ; celui qui proclame par sa parole et par sa vie : “ aimons-nous comme des frères”. Le prêtre, c’est celui qui unit, qui rassemble les hommes divisés par la haine. Le prêtre, c’est celui qui réconcilie ceux qui se sont brouillés. C’est en me considérant humblement, sans prétention aucune, avec toute ma faiblesse, comme “ alter Christus ” (un autre Christ), que moi, prêtre, je sais qui je suis et ce que je dois m’efforcer de vivre chaque jour.

En résumé, comme le Christ, je suis envoyé, apôtre, je dois annoncer la Parole de Dieu, je dois faire ce que Dieu veut, à savoir unir les hommes par la loi d’amour comme les enfants d’un même Père. Et cela, le monde en a besoin, en aura toujours besoin autant qu’il a besoin de nourriture et d’argent. Et cela, c’est du travail capable d’occuper pleinement une vie humaine, tout un prêtre, et c’est là toute sa vie » (in A.T.pp 114-115).

                                                                                                                                                                                          

3-Le prêtre, l’humble serviteur, l’ami des hommes

 

Emile BIAYENDA, vicaire de la paroisse Sainte-Marie de Ouenzé, puis curé de la paroisse Saint-Jean-Marie Vianney de Mouléké, à Brazzaville, ne vit pas comme un reclus ; il est chaleureux, attentif aux autres et passionné des contacts avec les personnes qu’il rencontre au cours des activités pastorales à la paroisse ou lors des visites dans les quartiers ; il se fait tout à tous, hommes et femmes, enfants et adultes, avec une attention particulière pour les démunis et les malades. Sa simplicité et la paix qui émane de sa personne sont des  armes efficaces pour gagner à Dieu le cœur de ceux qui font un bout de chemin humain et spirituel avec lui. Il puise cette simplicité et cette paix dans son amour filial à Marie, la mère de notre Seigneur. Cette piété mariale qui a germé lors de ses années de formation au sacerdoce, est un trait fort de sa vie de prêtre ; souvenons-nous qu’il aimait appeler Marie « ma bonne et tendre mère » et qu’il l’appelait pour qu’elle demeure toujours avec lui. Il priait ainsi à la veille de son ordination sacerdotale :

 

 « Marie, ma mère, je vous confie mon sacerdoce. Soyons ensemble, travaillons, prions ensemble. Que je vous aime avec votre Fils. Et que je vous fasse aimer aux âmes pour lesquelles Je consacrerai toute ma vie ». (A.T. p.71).

 

Celle qui a donné naissance à Emile, maa Biyela bia Milongo ne sera pas présente physiquement demain, à la messe d’ordination sacerdotale de son fils ; mais Emile sait qu’il n’est pas dépourvu d’amour maternel : Marie, la mère que Jésus nous a donnée lorsqu’il mourait sur la croix, est avec lui ; elle sera encore là demain et elle sera avec lui jusqu’au jour de sa mort.

                                                                                                                                                            Je me souviens clairement  que revenu de Lyon en 1969, l’abbé Emile fut invité au petit séminaire Saint-Paul, à Mbamou, pour parler aux séminaristes ; il nous invitait à réciter régulièrement notre chapelet ; il nous disait que lorsqu’il fut emprisonné en février 1965, ses geoliers l’avaient dépouillé de son chapelet, mais, ajouta-t-il, avec une sourire radieux, il avait encore ses dix doigts dont il se servait comme des grains pour réciter le chapelet.              Cette piété ne ressemble en rien à un piétisme béat. En associant Marie à sa vie sacerdotale et à toutes ses activités pastorales, l’abbé Emile se fonde sur  la conviction que la vie de l’humble jeune fille de Nazareth qui deviendra la mère du Christ est une source d’inspiration inépuisable pour tout prêtre ; en effet, Marie n’est pas seulement la mère qui prie pour les prêtres, elle est aussi la femme croyante, la femme charitable et la femme d’espérance, toute humble, qui est donnée en modèle à tout chrétien et au prêtre en particulier.                                          Suite à l’annonce de sa nomination à la charge d’évêque coadjuteur de Brazzaville, le 26 mars 1970, Monseigneur BIAYENDA prononce une allocution dans laquelle il prend Marie pour modèle :

 

« Mes biens chers frères en Jésus,

 

C’est l’occasion de le dire : vraiment, les voies de Dieu sont insondables. Il y a des surprises qui bouleversent et qui désorientent les plans des hommes. Marie, notre Mère, ne se proposait-t-elle pas dans sa loyale humilité, une vie tranquille toute effacée, au service de son Dieu ? Et brusquement Dieu en décida autrement : la voilà engagée à porter la lourde croix avec le Rédempteur : l’homme propose et Dieu dispose.

 

Point n’est besoin de rappeler que ma nomination à la charge d’évêque qui m’échoit aujourd’hui, et qui réjouit beaucoup de chrétiens, est une lourde croix. Nous le ressentons et le constatons nettement bien plus encore à cette époque de contestation. Mais quand le Seigneur parle, toute appréhension humaine doit disparaître et laisser place à l’action de grâces, au « merci » le plus sincère ; car au fond,  c’est toujours une grâce ineffable, une source de bénédiction pour tous. Aussi malgré les appréhensions, malgré les pressentiments d’un calvaire, comme Marie et avec Marie, comme Zacharie, nous ne pouvons que dire : “ Béni soit le Seigneur Dieu de l’univers, il continue de visiter son peuple…” ». 

 

Comme Marie qui accueille le plan de Dieu sur elle, Emile est rempli de foi en l’œuvre de Dieu qui donne les grâces nécessaires à l’accomplissement de la mission qu’il confie aux hommes. Il leur donne la force d’aller jusqu’au bout, d’accompagner  tout au sommet du calvaire Jésus portant sa croix, de communier à ses souffrances,  pour voir se lever le Soleil de Justice sur l’humanité encore esclave de la mort et du péché.

                                                                                                                                                        Comme Marie qui se lève et part en hâte porter à Elisabeth la bonne nouvelle de la prochaine naissance du Messie qu’elle porte en son sein, Emile est tout à son travail d’annoncer en paroles et en actes à ceux qu’il rencontre la bonne nouvelle qu’ils sont aimés de Dieu et que Dieu les veut debout et joyeux en Jésus Christ.

 

Comme Marie qui reste avec sa cousine Elisabeth, enceinte de six mois, pour lui apporter son aide, Emile est attentif aux malades et aux malheureux.

 

Il est clair que la dévotion mariale d’Emile BIAYENDA est une source d’inspiration et une force pour être un véritable disciple de Jésus, à l’exemple de Marie qui fut le premier disciple de son Fils, depuis Nazareth jusqu’à Jérusalem.

 

Chez Emile, les qualités ne sont pas en demi teinte, elles apparaissent dans toute leur maturité et ne s’éclipsent pas, car cet homme est entier et constant. Parmi ses qualités, je voudrais relever spécialement son humilité qui est à la fois déroutante et fascinante. Il a toujours été comme cela, disent ceux qui l’ont connu depuis les années de formation au séminaire jusqu’à la fin de sa vie. Mais pour le commun des fidèles, c’est la tranche de vie de l’épiscopat et du cardinalat qui marque les esprits. En Afrique (mais ce n’est pas une spécificité africaine), il n’est pas rare que les prêtres, à plus forte raison les évêques et les cardinaux sont mis sur un piédestal quand ce ne sont pas eux-mêmes qui invitent les fidèles à les hisser sur le pavois ; en effet, ces hommes de Dieu ont le privilège d’être manipulateurs du sacré et donc détenteurs de pouvoirs magico-religieux que sollicitent ceux qui sont dans les embarras de tout genre ; c’est pour cela qu’on leur doit le respect et les honneurs dus à leur rang de notables et de faiseurs de sacré. Emile BIAYENDA, évêque et cardinal, méritait ces honneurs en toute logique. Il avait conscience d’être un chef, un grand chef, il n’était pas seulement  nganga Nzambi, le féticheur de Dieu (c’est ainsi qu’on désigne le prêtre au Congo-Brazzaville), mais plus encore il était Mfumu nganga (appellation de l’évêque en pays koongo), le chef des féticheurs. Mais il n’utilisait jamais son statut de chef pour se pavaner ; c’était vraiment un prince à l’esprit noble et élevé qui savait que sa véritable grandeur ne lui venait pas de ce que les hommes l’encensaient, mais plutôt de son élection par Dieu au rang de serviteur des fidèles chrétiens.                                                          Je voudrais rapporter ici une anecdote pour illustrer mon propos : peu après sa promotion au rang de cardinal, les fidèles chrétiens de l’archidiocèse de Brazzaville, estimant que la vieille 2CV fourgonnette ne convient pas à leur pasteur, organisent une collecte aux fins de lui offrir une voiture digne de son rang ; ce sera une berline Mercedes noire ; piqué au vif par cette marque de respect  des chrétiens envers le premier cardinal du Congo-Brazzaville, le Président de la république du Congo, le commandant Marien NGOUABI, va offrir, au nom de l’Etat congolais, une Peugeot 504 noire, la voiture des officiels congolais de l’époque. Le cardinal loue la générosité des donateurs, mais très souvent, lors de ses visites pastorales ou de ses déplacements personnels, il continuera de rouler dans sa vieille 2CV.

                                                                                                                                                                                                                     Emile ne regarde jamais les gens de haut ; que ce soit au milieu des prêtres ou des fidèles, il sait exercer l’autorité en bon intendant chargé de donner à chacun sa part de nourriture et il considère les autres comme des enfants de Dieu, des frères et sœurs de Jésus revêtus d’une égale dignité ; à l’exemple du Christ qui se tient au milieu des hommes dans la posture du serviteur qui s’abaisse jusqu’à  laver les pieds de ses disciples, il vit et exerce son sacerdoce non comme une promotion sociale, mais plutôt comme un appel incessant à se mettre au service des hommes et des femmes que Dieu place sur son chemin. Le message qu’il adresse aux chrétiens et à tout le peuple congolais après la réception de la lettre officielle de son admission dans le  Collège des cardinaux en dit long sur sa lucidité et sur le sens juste et noble qu’il a de l’exercice de l’autorité dans l’Eglise :      

      

« Frères, cette nouvelle reste une grande surprise, tant pour vous que pour nous-mêmes : personne ne s’y attendait et ne pouvait s’y attendre ! Eh bien, que la volonté de Dieu soit faite et que le Seigneur et l’humanité en soient glorifiés au maximum !

 

La promotion au rang des cardinaux est un honneur, bien sûr, mais aussi et surtout une charge et un service que nous devrons assumer tous ensemble. C’est une faveur de la part du Seigneur, mais une faveur lourde de responsabilités vis-à-vis de ce monde. Aussi, nous avons tremblé profondément en apprenant cette nouvelle. Le courage nous est revenu en entendant cette parole profonde du Délégué Apostolique : “confiance en Dieu, confiance en le Pape, confiance en la chrétienté et au clergé !” Oui, nous avons alors compris que cette charge n’était pas une affaire personnelle mais l’affaire de tous : Dieu et tout son peuple. Notre force devant cette croix de salut, c’est Dieu, c’est le Saint-Père, c’est vous, chers frères chrétiens, et toutes les bonnes volontés de notre pays !

 

Et cette grande grâce, c’est à nous tous, frères, qu’elle est confiée pour le salut et le bonheur de tous : qu’elle ne soit pas vaine ! Nous devons la conserver jalousement et en tirer profit pour la plus grande gloire de Dieu et de l’humanité. Et il en sera ainsi, si nous chrétiens, nous restons dans l’Esprit de Jésus, cet Esprit de Jésus qui se manifeste dans ce monde par ce sens du respect, du service, de la charité fraternelle qui anime toute communauté joyeuse de vivre ! Cet Esprit de Jésus qui a pour signe le respect de la personne humaine quelle qu’elle soit, la conscience professionnelle dans toute charge que nous assumons en société et surtout le sens aigu de la hiérarchie… A une époque où toute autorité se trouve contestée et rendue caduque mais où par contre l’homme ressent un vif besoin de discipline pour produire efficacement, le devoir incombe aux chrétiens de se rappeler la parole irrévocable du Christ soulignant notre responsabilité : “Vous êtes le sel de la terre ! Vous êtes la lumière du monde !” (Mt 5).                                   C’est à nous donc, frères et sœurs, c’est à nous de montrer au monde la beauté et la splendeur de l’autorité, selon les vues de Dieu. Car nous savons pourquoi tel ou tel commande à d’autres hommes : nous savons que toute autorité vient de Dieu, que toute hiérarchie est œuvre de l’Esprit organisateur de Dieu…Frères, si tout homme ressent d’instinct la nécessité d’une discipline, combien plus, nous, croyants, qui savons la raison profonde de la hiérarchie, devrons-nous aimer la discipline et l’ordre. Nous portons la grande responsabilité de redonner au monde la saveur et la joie d’une vie organisée, hiérarchisée. Il nous appartient d’annoncer et de montre que “ obéir ” n’est pas se rabaisser, mais au contraire, c’est faire preuve de grandeur d’âme et d’intelligence. C’est sans aucun doute un facteur  indispensable pour toute construction. Voilà, à notre avis, chers frères, la leçon qui se dégage de cette promotion qui fait notre joie et notre fierté à tous ! » (in A.T. pp99-101).

 

Nous percevons à travers ce message que l’humilité d’Emile n’est pas la fausse modestie ; il sait l’honneur qui vient de lui être fait, mais dans le même élan, il associe à cet honneur le peuple chrétien et la nation congolaise tout entière. L’honneur qui est fait au pasteur rejaillit totalement sur ses frères ; il ne se met ni au-dessus ni en dehors de ceux à qui est destiné le message évangélique. En même temps, il ne se dérobe pas à sa mission qui consiste à parler au nom du Christ pour rappeler les exigences salutaires de la vie chrétienne, ici celle de la nécessité de la reconnaissance et du respect de la hiérarchie en vue de la construction d’une société où chacun est reconnu, et aussi celle d’une saine compréhension de l’autorité comme un don pour la promotion du bien commun. Encore une fois, sa conception et son exercice de l’autorité pastorale sont dictés par l’enseignement du Christ : « Les rois commandent en maîtres, les grands font sentir leur pouvoir ; parmi vous, il ne doit pas en être ainsi ; celui qui veut être le plus grand… ».

 

Emile n’est pas un donneur de leçons, il montre le Christ et il s’efforce à conformer sa vie personnelle à celle du divin Maître ; en cela, il indique et dénonce sans violence les tares et l’échec de tout pouvoir et de toute autorité qui se prendrait pour sa propre fin alors qu’elle est fondamentalement un moyen mis par Dieu à la disposition des communautés humaines afin qu’elles vivent et se développent harmonieusement. Il connaît bien le Congo, son pays, et il a vécu dans sa propre chair les délires cruels et néfastes d’un pouvoir politique préoccupé à terroriser par tous les moyens pour se maintenir, plutôt que de se soucier du bien-être de la population. 

 

Emile BIAYENDA est un mystique ; il trouve son accomplissement et sa joie dans la rencontre intérieure avec le Christ dans la prière, la méditation de la Parole de Dieu ; il contemple l’amour de Dieu pour les hommes manifesté en Jésus qui donne sa vie sur la croix. De cette rencontre et de cette contemplation jaillit la pressante nécessité de la mission dans les orientations pastorales et la vie quotidienne. Alors là, au mystique se joignent le sociologue et l’homme d’action pour que l’annonce du salut et de la libération de l’humanité en Jésus ne soit pas un discours éthéré sans prise réelle sur la vie des personnes et de la société. La thèse de sociologie qu’il a écrite à l’institut catholique de Lyon en 1968 est la preuve de la volonté de l’abbé BIAYENDA de ne pas dissocier la pratique  religieuse de la transformation réelle de la société , l’intelligence de la foi, le christianisme et le développement humain intégral. Emile ne se départira jamais de son regard de sociologue pour analyser l’état et les mouvements de la société congolaise qui connaît une mutation chaotique mais prometteuse entre une société traditionnelle forgée au creuset de la solidarité et du respect de la hiérarchie à une société moderne soucieuse d’un développement économique et d’une liberté à l’égard du carcan traditionnel qui soumettrait la personne à des valeurs surannées. Le sociologue sait que ce passage est inéluctable, il sait qu’il prendra le temps qu’il faudra, mais le mouvement est irréversible. En pasteur avisé, Emile ne fera pas l’éloge aveugle de la tradition ni celui de la modernité ; il voit dans l’une et l’autre des valeurs humaines à explorer et à exploiter pour le bien de chacun et de tous ; il décèle dans l’une et l’autre des ambiguïtés et des freins à la reconnaissance de la dignité et de la liberté des personnes, donc un frein au développement social et économique. Depuis 1963, le Congo les dirigeants politiques congolais ont choisi la voie du socialisme puis du marxisme-léninisme pour assurer le décollage économique et humain de la population. L’Eglise est considérée comme une force rétrograde, un frein au développement intellectuel, culturel et économique des congolais. Lorsqu’il accède à l’épiscopat, en 1970, Mgr BIAYENDA sait que sa tâche ne sera pas facile en ce qui concerne les rapports entre l’Eglise et l’Etat. Durant tout son épiscopat, il ne heurte jamais de front les autorités politiques emmurées dans l’idéologie du Parti congolais du travail, parti unique qui dirige l’Etat ; ce n’est pas dans la nature d’Emile de chercher un choc frontal ; ce n’est pas sage de vouloir le provoquer ou de céder aux provocations du camp d’en face ; en tout état de cause l’archevêque métropolitain de Brazzaville est convaincu qu’il n’ y a pas deux, mais un seul camp : celui des citoyens congolais. Il usera à la fois de sa force intérieure, de sa charité fraternelle et de son autorité pastorale pour éviter le clash qui compromettrait la sécurité des personnes et l’unité nationale. Les incidents et les moments chauds ne manquent pas, mais Emile croit que c’est dans les situations les plus tendues qu’il faut instaurer le dialogue dont les fruits sont toujours un cadeau de l’Esprit de Dieu qui fait grandir le Corps du Christ qu’est l’Eglise. Le dialogue n’est pas démission, trahison du trésor de la foi, elle est pastorale intelligente et patiente qui permet de faire découvrir que Dieu n’est pas contre le bonheur de ses créatures, mais qu’au contraire, il trouve sa gloire dans l’homme debout et heureux. Son respect et son estime pour le Président de la république, le commandant Marien NGOUABI qui le lui rendait bien ont jeté en terre congolaise la semence de la reconnaissance de l’Eglise comme un élément qui contribue au développement de la nation.

 

Au sujet du développement qui doit être le souci et le travail de toutes les composantes de la nation, le pasteur de l’archidiocèse Brazzaville adresse aux chrétiens à l’occasion de Noël (trouver l’année)  une lettre intitulée « Noël, les chrétiens accueillent le libérateur de tous les hommes » :                       

                                    

 « Accueillons surtout dans la joie tous les appels de libération qui jaillissent aujourd’hui du sol de notre pays, du cœur de notre peuple congolais. Ensemble, nous luttons pour notre indépendance réelle, pour la libération politique, économique et culturelle de notre pays qui veut grandir dans la dignité et le respect de ses valeurs propres. Notre pays s’est engagé dans la lutte pour la construction d’une société plus juste. Il nous revient à tous de tout faire pour que le socialisme soit vraiment la volonté d’arracher tous nos frères congolais à l’irresponsabilité, pour qu’il soit une invitation à tous à prendre part à la construction nationale ; et qu’ainsi se réalisent chez nous des conditions politiques et sociales permettant à tous de participer à la gestion de notre croissance.

 

Quotidiennement, chaque homme et chaque femme est appelé à prendre sa vraie place, dans une totale disponibilité, chrétiens, nous voulons assumer pleinement nos responsabilités.                                                    La lutte pour la libération est aussi quotidiennement celle contre la misère, la faim, la maladie, la malnutrition, le chômage, l’analphabétisme.

 

C’est au sein de toutes ces réalités que nous voulons fêter la naissance du Christ. Le Christ vient au milieu de nous pour nous inviter à vivre encore plus conformément la lutte de chaque jour que nous partageons avec tous nos frères. Il veut aussi nous permettre de porter nos libérations humaines à leur perfection, à leur total accomplissement.

 

Nous connaissons tous les reproches que nous adressent beaucoup de nos contemporains. La religion leur apparaîtrait encore comme un obstacle à la vraie libération de l’homme, elle encouragerait l’homme à une attente passive de l’au-delà, le dispensant ainsi de faire des efforts afin de transformer cette vallée de larmes en un monde plus humain…                                                         Pour nous chrétiens, connaître Dieu et son dessein est une invitation immédiate à participer avec tous les hommes de bonne volonté à la lutte pour la justice et pour la transformation du monde … »

                                                                                                                                                          Emile ne fait pas que parler de la justice sociale et du souci des pauvres. Il constate que beaucoup de personnes âgées à Brazzaville sont délaissées, abandonnées à elles-mêmes, soit parce que les familles sont elles-mêmes démunies pour les prendre en charge, soit parce qu’elles sont accusées de sorcellerie. Le cardinal BIAYENDA fait siennes les souffrances de ces personnes âgées et de leur entourage. Il n’existe aucune structure appropriée pour accueillir ces personnes nécessiteuses, alors Emile va s’employer de toutes ses énergies à en créer une. Le terrain est trouvé juste à côté de la cathédrale ; il prend langue avec la congrégation des petites sœurs des pauvres, il obtient de l’Etat congolais les autorisations requises, et la première maison d’accueil des personnes âgées au Congo va ouvrir ses portes en (chercher l’année).

 

L’autre chantier qui le préoccupe est celui de l’éducation de la jeunesse. Il est conscient qu’il n’y a pas d’avenir pour le Congo si les enfants et les jeunes ne reçoivent pas de formation intellectuelle et humaine solide. Depuis 1965, les écoles catholiques et protestantes qui dispensaient le savoir et le savoir-vivre ont été nationalisées par décision unilatérale des autorités politiques congolaises qui  estiment que l’Eglise, par le biais de l’enseignement, corrompt et aliène la jeunesse. Les mouvements de jeunesse chrétienne ont été dissous également. Mais la nationalisation des écoles a plongé l’enseignement au Congo dans un état de délabrement à maints niveaux : pédagogique, éducatif, éthique ; la prépondérance des mouvements de jeunesse socialiste qui favorisent plus le bourrage idéologique qu’une formation intellectuelle et professionnelle solide ajoute à la désolation. Emile sait tout cela mais au lieu de diaboliser ou de stigmatiser qui que ce soit, il invite à la prise de conscience et à la  collaboration pour assurer l’avenir de la nation.  En 1974, à l’occasion du Carême, l’archevêque de Brazzaville s’adresse, dans une lettre pastorale, à tous ceux qui ont en charge l’éducation des jeunes : « Frères et sœurs dans le Christ, l’époque que nous vivons est passionnante ! Tous, nous assistons à des transformations des conditions de vie, à des possibilités inouïes pour l’homme de maîtriser l’univers, à un progrès immense de la science et des techniques qui font notre admiration et  nous portent à l’enthousiasme.                                                                                   Avec cette évolution du monde, rapide, extraordinaire, se développent des faits nouveaux : les moyens de communication, par exemple, qui font prendre conscience à l’homme de sa dimension universelle…Toutefois, ces faits nouveaux demandent à l’homme de s’asseoir et de réfléchir, car ils comportent un danger, un risque dont nous devons mieux prendre conscience pour pouvoir le dominer.

 

Parmi tous ces faits nouveaux, il en est un qui s’impose à nous, Congolais, avec force et netteté : celui de l’éducation des enfants et des jeunes. Il n’est pas trop fort de dire que nous assistons, ici dans notre pays, comme dans beaucoup d’autres pays, à une “véritable marée des jeunes”. Je pense que c’est notre devoir à tous : évêque, prêtres, religieux et religieuses, éducateurs, enseignants, responsables des mouvements de jeunes, laïcs, de nous asseoir calmement et durant tout ce temps de Carême, temps de prière, de lumière, de conversion, de faire le point, de prendre le problème à bras le corps et d’y apporter chacun à sa place et selon sa mesure, la solution ou les solutions simples, pratiques, efficaces qui s’imposent.                                           C’est dans ce but que je m’adresse à vous tous qui avez une part importante dans l’éducation des enfants, à vous aussi jeunes des C.E.G. (Collèges d’enseignement général) et des lycées, pour que cette lettre de Carême soit lue, discutée, méditée, non pas comme une simple parole humaine, mais comme cette Parole de Dieu “ vivante, efficace et plus incisive qu’aucun glaive à deux tranchants, qui pénètre jusqu’au point de division de l’âme et de l’esprit, des articulations et des moelles et qui peut juger les sentiments et les pensées du cœur ” (He 4, 12)…

                                                                                                                                                             Tout au long de cette année, en écoutant avec bienveillance les uns et les autres, j’ai été frappé d’entendre très souvent les mêmes mots : “ Nous sommes débordés ; les enfants n’obéissent plus ; les enfants ne travaillent plus ; les enfants n’écoutent plus personne ; nous ne savons que faire…” Si c’est la voix des enseignants, c’est la même chose : “ De notre temps, les études c’était quelque chose ; maintenant les élèves ne savent plus rien, ne travaillent plus, n’obéissent plus ”. Et tous, nous rejetons la faute sur l’autre : “ C’est la faute des parents ”, disent les enseignants ; et tous, à bout d’argument : “ C’est la faute de l’Etat ”…                                                  Véritable marée des jeunes, enfants livrés à eux-mêmes sans discipline ni cadre, rejet de la responsabilité les uns sur les autres, les conséquences d’un tel état de fait sont graves…Aussi je vous invite à vous asseoir, simplement, calmement, sans esprit de parti ou de polémique, je vous invite à réfléchir et à faire la lumière.

 

Quelles sont les causes de tous ces faits ?

Que pouvons-nous faire ? Quelles consignes votre évêque peut-il vous donner ? ».                                                

 

L’évêque Emile veille avec soin sur le troupeau dont il a reçu la charge ; même dans un contexte politique difficile, il ne capitule pas ; peu importe que l’Eglise n’ait plus ses écoles collèges et lycées, la mission prophétique lui incombe toujours de faire prendre conscience des dangers et de susciter les énergies des peuples pour qu’ils avancent vers un développement intégral. L’évêque Emile est dans la droite ligne du concile Vatican II qui dit que l’Eglise ne peut pas se désintéresser de la vie des hommes de ce temps dont elle partage les joies et les espoirs, les tristesses et les angoisses : « Les joies et les espoirs, les tristesses et les angoisses des hommes de ce temps sont aussi les joies et les espoirs, les tristesses et les angoisses  des disciples du Christ, et il n’y a rien de vraiment humain qui ne trouve un écho dans leur cœur » (Constitution pastorale Gaudium et spes, préambule). 

                                                                                

Conclusion 

 

 Emile BIAYENDA, évêque et cardinal est un prêtre à la personnalité attachante. Il provoque et invite le prêtre que je suis à plus d’intériorité. En faisant défiler les quelques souvenirs qu’il me reste de lui, mais surtout en relisant ses écrits, j’ai la conviction que ce n’est pas à lui que je m’attache mais à Celui qu’il a accueilli dans son cœur et dans sa vie pour le révéler aux autres comme la source du bonheur véritable : Jésus Christ, le fils de Marie, le Fils de Dieu. Merci à toi, taata Emile, d’aider les prêtres à aimer Jésus et à le servir dans nos frères et sœurs, surtout les plus pauvres et les plus délaissés.          

 

Abbé Olivier MASSAMBA LOUBELO                                                                                                                                  

 

                                          

                                                                                                                                                                             

 

 

                                       

                                                                                    

 

 

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